Gestion
Gestion de copropriété et cannabis
Publié le : 20 September 2018 | Dernière modification le : 29 April 2022
Le 17 octobre 2018, la loi concernant le cannabis du parlement fédéral (C-45) entre en vigueur. Bien que cette journée sera probablement festive pour certains Canadiens, les copropriétaires, administrateurs de syndicats et gestionnaires, eux, vivront une tout autre réalité.
Tout gestionnaire qui s’occupe d’une ou de plusieurs copropriétés vous le dira : le cannabis est un sujet chaud parmi les copropriétaires québécois.[1] On s’inquiète surtout des effets de la fumée secondaire liée à la consommation usuelle de cette substance, qui sera bientôt aussi légale que le tabac. Si certains sont déjà incommodés par la fumée secondaire du tabac, il est normal qu’ils s’inquiètent de la possibilité de voir leurs maux augmentés.
Pour les administrateurs de copropriété, le problème est double : s’ils craignent eux aussi d’être barricadés dans leur condo après le 17 octobre 2018, ils redoutent également les effets secondaires de cette légalisation quant à l’administration du syndicat : problèmes d’assurances, incendie, vol, travaux pour diminuer la circulation des odeurs du cannabis, etc.
Bref, il ne fait aucun doute que le syndicat de copropriété a la légitimité pour prendre des mesures pour interdire la consommation de cannabis dans l’immeuble, puisqu’il le fait dans l’intérêt supérieur de la collectivité des copropriétaires.
Cela étant dit, que peuvent faire les gestionnaires face à ce type de problème ? Existe-t-il des solutions ?
Évaluer les outils déjà à disposition
La première étape pour tout gestionnaire prudent serait de lire attentivement la déclaration de copropriété. On ne sait jamais quelle trouvaille on peut y faire ! Cela dit, il est plutôt rare de voir des dispositions spécifiques sur le tabac, la fumée secondaire ou même, sur le cannabis. C’est pourtant normal : ce phénomène contemporain ne pouvait être anticipé par les notaires qui ont écrit les déclarations de copropriété, d’autant que les problèmes liés à la fumée secondaire étaient généralement considérés comme un problème de « voisinage » entre copropriétaires.
La deuxième étape est celle d’évaluer les outils qui sont à la portée du gestionnaire pour combattre ce fléau.
Une possibilité serait d’enrayer le problème à la source et de modifier l’acte constitutif de la déclaration de copropriété en modifiant la destination de l’immeuble. En d’autres mots, on transformerait l’immeuble en une copropriété « sans fumée secondaire » ou « sans cannabis ». Toutefois, le gestionnaire devra faire preuve de prudence avant de privilégier cette voie : ce changement à la déclaration doit être approuvé par l’assemblée des copropriétaires, selon la majorité renforcée que prévoit l’article 1098 C.c.Q.[2] Qui plus est, il faut prévoir un délai raisonnable pour permettre au notaire, impérativement avant le 18 octobre 2018 [3], de préparer l’acte de modification à la déclaration de copropriété et de le publier. C’est sans compter les frais supplémentaires (notaire, publication, etc.) que comporte cette option.
Une autre avenue est possible pour les gestionnaires de copropriété. Il s’agit de l’adoption de règlements d’immeuble pour venir baliser ou prohiber la consommation et la production de cannabis dans la copropriété.
Il ne faut pas oublier que les outils à la disposition du Syndicat après le 17 octobre 2018 ne seront pas les mêmes. Comme Me Marie-Cécile Bodéüs, qui exerce en droit de la copropriété depuis 1997, l’exprime dans une de ses chroniques [4]:
« Après la décriminalisation, la majorité requise demeurera la même pour les règlements afférents aux parties communes et aux parties communes à usage restreint. Pour faire adopter ceux afférents aux parties privatives, la majorité requise demeurera également la même, mais il est à prévoir que, sans obtenir le consentement unanime (100% d’approbation) des copropriétaires pour la mise en place de l’interdiction dans les parties privatives, le syndicat pourrait faire face à des difficultés dans l’application des règlements concernés. »
Limiter l'usage du cannabis par règlement
Bien que les gestionnaires ou les administrateurs eux-mêmes puissent procéder à la rédaction de tels règlements, il peut s’avérer judicieux de ne pas s’improviser juriste et de laisser des spécialistes de la rédaction juridique procéder. Cela permet souvent d’éviter bien des problèmes en cas de litige ou de conflit dans la copropriété. Il ne faut pas oublier que ces règlements sont souvent un investissement pour les copropriétaires et que celui-ci ne doit pas s’avérer « à risque » en raison d’une mauvaise rédaction.
Si le gestionnaire procède à la rédaction lui-même, il devra s’affairer à faire des choix difficiles : désire-t-il une prohibition totale de la consommation du cannabis ? Qu’en est-il du cannabis thérapeutique ? Préfère-t-il au contraire, et pour éviter des débats houleux dans la copropriété, un régime plus permissif, qui limiterait l’interdiction aux seules parties communes ?
Suivant cet exercice de rédaction, il sera nécessaire de procéder à l’adoption des règlements proposée en assemblée des copropriétaires. Le gestionnaire devra ici faire preuve de préparation : s’il a rédigé les règlements lui-même, il devra être capable de les justifier et de les expliquer aux copropriétaires. S’ils ont été rédigés par un avocat ou un notaire, celui-ci pourrait être invité pour expliquer le fonctionnement et le bien-fondé de ces règlements. Le gestionnaire pourra alors agir comme président d’assemblée et assurer un débat cohérent et respectueux.
Plusieurs questions reviennent régulièrement lors de ces assemblées. Trois sortent particulièrement du lot, d’autant qu’elles sont populaires auprès des contestataires :
- Les arguments fondés sur les droits et libertés garantis par la Charte. Très populaires, ces arguments sont souvent utilisés pour délégitimer le processus d’interdiction du cannabis ou les failles d’un régime distinct (mais costaud) quant au cannabis thérapeutique. Évidemment, un règlement bien ficelé traitera déjà de ces questions et prévoira, le cas échéant, des exceptions pour éviter ce genre de contestation judiciaire.
- Les arguments fondés sur la légitimité du syndicat de procéder à une telle interdiction. Ces arguments font souvent état du fait que le gouvernement fédéral a fait un choix et qu’il faut « le respecter ». Certains arguments plus sophistiqués font également état du fait que le syndicat ne peut pas imposer de limites aux usages ou activités des copropriétaires dans leur partie privative.[5] Le gestionnaire pourra ici expliquer le rôle du syndicat de copropriété et sa mission. Également, il est à noter que le cannabis récréatif ne sera légal au Canada qu’à compter du 17 octobre 2018 et que, par conséquent, aucun copropriétaire ne peut prétendre avoir le « droit » d’en consommer avant cette date, mettant en échec ces arguments.
- Les arguments fondés sur l’impossibilité de faire respecter les règlements. On soulève des difficultés pratiques quant aux règlements : comment savoir si quelqu’un fume ? Si la fumée émane de l’unité 1 ou 2 ? Etc. Le gestionnaire devrait ici souligner l’importance du caractère préventif du règlement. En d’autres mots, on tente de prévenir des problèmes ou des troubles de voisinage, et personne ne demande au syndicat de commencer à jouer à la Gestapo ! L’appel au gros bon sens devrait suffire pour étouffer ces arguments.
Finalement, il ne faut pas oublier que les règlements doivent être joints au procès-verbal et déposé dans le registre de la copropriété. Sinon, tout ce travail aura été effectué en vain !
Validation juridique du texte effectuée par le cabinet DeGrandpré Joli-Coeur.
[1] Par exemple, les conférences sur le cannabis offertes par le Regroupement des gestionnaires et copropriétaires du Québec (RGCQ) font salles combles et permettent de constater l’ampleur du phénomène.
[2] Un vote représentant les trois quarts des copropriétaires et 90% des voix de tous les copropriétaires.
[3] La modification de la déclaration de copropriété après le 17 octobre 2018 pour interdire la fumée de cigarette ou de cannabis devrait comporter une clause « grand-père »*.
[5] 1102 C.c.Q.
* En droit, la clause « grand-père » est une clause maintenant les droits acquis, qui permet que, lors de l'adoption d'une nouvelle loi, les conditions de l'ancienne loi puissent s'appliquer à ceux qui en bénéficiaient déjà, généralement pour une période limitée.
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