Faciliter l’insertion professionnelle des gestionnaires immigrants au Québec
Publié le : 05 juillet 2022 | Dernière modification le : 28 novembre 2023
Trouver un emploi qui correspond à ses compétences et à ses diplômes relève bien souvent du parcours du combattant pour le gestionnaire immigrant. Quels sont les problèmes récurrents auxquels il se heurte?
« Quand on arrive au Québec, on n’a pas de boussole pour nous aider à nous orienter et pour faciliter notre intégration professionnelle », déplore Romulus Behanzin, Adm.A., comptable professionnel agréé (CPA), fondateur et associé chez CPA Alliance Mac, qui a quitté le Bénin en 2010.
Bien qu’il ait obtenu l’équivalence de son diplôme français en expertise comptable auprès de l’Ordre des CPA et suivi des cours d’appoint à HEC Montréal, cela ne lui a pas pour autant ouvert toutes grandes les portes des firmes comptables québécoises. De guerre lasse et désireux d’infléchir son destin professionnel, il lance alors son propre cabinet comptable à Laval, avec succès. « Il faut se tracer une ligne directrice pour atteindre son objectif de vie. J’ai décidé de ne pas me laisser enliser et de bâtir ma propre indépendance », raconte-t-il.
Un processus d’insertion complexe
Si le choix de M. Behanzin s’est avéré heureux, il n’en va pas de même pour tous. Beaucoup d'immigrants ont en effet le sentiment de se retrouver dans un cul-de-sac et de tourner en rond, ne sachant comment sortir de l’impasse.
Certes, aller chercher le titre d'administrateur agréé auprès de l’Ordre peut constituer une carte maîtresse dans leur jeu, en leur conférant une crédibilité professionnelle. « L’Ordre des administrateurs agréés a mis en place des normes d’équivalence de diplômes permettant aux gestionnaires issus de certains pays d’obtenir le titre. Cela génère assurément des opportunités », dit Romulus Behanzin.
Toutefois, il faut garder en tête que l’insertion professionnelle en tant qu’immigrant est un processus de longue haleine. « Les gestionnaires font aussi face à deux grandes problématiques. Tout d’abord, le fait que la gestion soit considérée comme un ‘‘soft skill’’ qui ne s’apprend pas sur les bancs d’école, compte tenu de son côté très humain et relié aux valeurs, à la culture. D’autre part, la candidature d’un gestionnaire venant d’ailleurs ne sera pas nécessairement considérée à sa juste valeur, et ce, même s’il a 15 ans d’expérience », constate Jonathan Plourde, associé directeur, Amérique du Nord au sein de la firme Alexander Hughes.
Résultat : de nombreux immigrants candidats à des postes de gestionnaires au Québec doivent faire « un pas en arrière ». « Ils n’ont pas l’expérience de travail québécoise et ils ne maîtrisent pas non plus la culture. Cela les dessert considérablement aux yeux des employeurs », ajoute M. Plourde.
Romulus Behanzin pourrait en témoigner, lui qui a vu lui échapper un poste dans une prestigieuse firme comptable au Québec – poste pour lequel il était parfaitement qualifié – au motif qu’il n’était pas suffisamment imprégné de la culture locale sur le plan professionnel.
La gestion : ancrée dans la culture
Jonathan Plourde plaide en faveur d’une plus grande conscientisation du monde du travail et des employeurs d’ici à propos des compétences transférables entre différents pays étrangers et le Québec. Mais il y a aussi un certain effort de sensibilisation à faire du côté des gestionnaires immigrants. « Les gens arrivent en disant, par exemple : ‘‘J’ai géré une équipe de 150 personnes en France. Je peux donc assurément faire la même chose ici.’’ Or, ce n’est pas du tout pareil, il y a une adaptation à faire, notamment sur le plan culturel », précise M. Plourde.
Ainsi, il note que des candidats venus de l’étranger se retrouvent déstabilisés en entrevue, en particulier en ce qui concerne les techniques de résolution de conflits. « En Europe, notamment, elles reposent énormément sur la hiérarchie. En cas de problème, on fait appel à son supérieur pour le régler. Mais ici, cela ne fonctionne pas comme ça, il y a toute une notion de conciliation, d’écoute que l’on ne retrouve pas dans d’autres pays », précise M. Plourde.
Dans un tel contexte, l’entrevue d’embauche peut se solder par un échec, la méconnaissance de cette culture de gestion coûtant bien souvent au professionnel immigrant le poste auquel il aspirait. Les employeurs craignent aussi que ses méthodes de travail causent des problèmes à l’interne, voire qu’elles occasionnent le départ d’employés qui n’apprécient pas ces façons de faire.
Que recommande M. Plourde pour contourner cet écueil? Se renseigner auprès de professionnels qui connaissent bien le marché du travail local. « Il faut également se faire des amis ici, contacter des immigrants vivant au Québec depuis un certain temps et qui sont en mesure d’expliquer les différences. Des cours d’appoint dans des écoles de gestion et des écoles de dirigeants, des séminaires, etc., peuvent aussi aider à s’imprégner de la culture professionnelle. L’Ordre des administrateurs agréés est aussi une bonne source d’information », conclut Jonathan Plourde, affirmant qu’une bonne partie de la solution se trouve dans l’éducation et la sensibilisation.
Propos recueillis par Emmanuelle Gril, journaliste